De Reims à Reims


Le 17 août, au matin, on monte le sac et on va s’embarquer à la gare de Villers Daucourt. À 10 heures du matin, le train se met en marche. Pendant le trajet, on passe à Clermont-en-Argonne, Vitry le François, Chalons en Champagne, Epernay. Le train change de direction ; enfin le train s’arrête à la petite gare de Germaine. Le clairon sonne la halte, on débarque, on passe un petit village où l’on fait une halte. À la sortie du village, on nous distribue des vivres et après demi-heure de halte, on repart. Après avoir fait un kilomètre, on prend un chemin de traverse à travers le bois. Mais le terrain monte et il y a de la boue : c’est la montagne de Reims que l’on monte. Après deux heures de marche, on arrive au sommet de la montagne, puis on redescend à pic. Au fond du ravin se trouve un joli patelin où nous allons cantonner qui s’appelle Chigny les Roses. C’est à 8 heures du soir que nous arrivons, mais il y a un bon cantonnement. Il nous tarde de nous reposer car le trajet nous a beaucoup fatigué.
Le 18 août, au matin, après avoir fait ma toilette, je vais faire une petite promenade pour voir les alentours. Nous sommes près du village, presque aux portes des maisons. On commence à voir des vignes très jolies avec ses grappes de raisins qui commencent à mûrir : il me semble que je suis au pays natal en voyant ce vignoble. Dans le lointain, on aperçoit ce que l’on peut bien distinguer à l’œil nu, la cathédrale de Reims. On la voit dans tous les livres, elle est renommée dans le monde entier comme monument moderne. Elle ne semble pas avoir souffert des bombardements ennemis comme les journaux l’avaient fait connaître aux civils, mais de si loin, on ne peut pas bien le distinguer.

Le 21 août, au soir, on va relever le 6iéme d’infanterie qui se trouve au secteur de Sillery. Pour s’y rendre, on passe par un petit patelin qui s’appelle Puisieulx, puis par Sellery et après le Petit Sillery. À l’entrée du boyau se trouve un magnifique château qui ne semble pas trop démoli, mais les tours ont beaucoup souffert du bombardement. On arrive en première ligne, le secteur semble calme et le meilleur, c’est qu’il y a de bons abris.
Le 23 août au matin, je quitte la garde et c’est le tour de Pujol de prendre la garde. Il s’amuse à nettoyer la tranchée. Mais il y a peine une heure que je suis dans l’abri pour me reposer que, tout à coup, Pujol vient à l’entrée de l’abri en criant : " je suis blessé ", mais il ne pouvait pas trop crier. Tous mes copains sortent pour le secourir, on le fait asseoir sur un petit banc pour pouvoir le déshabiller, pour voir l’endroit où il est blessé. Mais entre temps, on a appelé les brancardiers. Il est blessé par une balle qui commence à le traverser juste en face le cœur et qui est ressortie par le côté droit. Après lui avoir fait un pansement, les brancardiers le descendent au poste de secours, moi je descends son sac et son fusil. Dans le boyau un sergent nous prend la photo dans un coin de tranchée. Arrivé au poste de secours, le major lui met la carte d’évacuation, puis on le porte au médecin chef. Moi je le quitte et je remonte à la tranchée.



Le 27 août, au soir, on est relevé. On va au repos à Chigny les Roses. Là, on y reste pas mal de temps, on ne s'ennuie pas trop car ce petit patelin ressemble une petite ville.

septembre 1915

Le 2 septembre, on remonte aux tranchées, mais cette fois, on va en réserve. On travaille 6 heures de jour et 6 heures de nuit pour construire des abris blindés, juste à la lisière d'un petit bois. Là, on y reste 16 jours sans aller au repos et sans changer de place. Dans la tranchée, on nous distribue un casque à chacun.
Le 18 septembre, on est relevé par le 294iéme territorial, on va cantonner à Villers-Allerand. Pour y aller, on traverse des vignes dont les raisins sont mûrs : chacun fait la cueillette. On passe par Rilly la montagne, on arrive le matin à Villers. On est logé dans une jolie maison, mais le premier soir on est obligé de coucher sur le pavé. Chaque jour on va faire de l'exercice dans le bois de la montagne de Reims, passant par Monchenot. On nous distribue une veste à chacun et on nous change le tampon du masque. Les habitants sont en train de faire les vendanges. A chaque repas, après avoir mangé la soupe, on va grappiller dans les vignes.



Le 25 septembre, nous quittons Villiers-Allerand. En route on passe par Monchenot, Sermiers, Chamery, Gueux. Il pleut, on est tout trempé, la fatigue nous gagne. Enfin on arrive au village où l'on doit aller qui s'appelle Germiny. Personne ne cherche à se promener car on est assez fatigué, et l’on sait déjà que demain il faut partir pour aller plus loin.
Le 26 septembre, on quitte Germiny, on passe à Rosnay, Branscourt, Jonchery sur Vesle, Romain, on couche à Meurival.
C'est le 27 septembre. On est logé dans une petite grange et l'on est serré comme des sardines, mais on est content d'avoir cet abri car il pleut. En même temps on apprend le succès de l'attaque de Champagne. Mais le soir on quitte Meurival, passant par Romain, Breuil, Jonchéry, Branscourt et l’on arrive à Treslon on l'on doit cantonner. On est mal logé.
C'est le 28 septembre, on y reste 4 jours à faire un peu d'exercices.

octobre 1915

Le 1er octobre, on quitte Treslon pour aller à Ville-Demange. On y reste juste la matinée du 2 octobre. On nous distribue des vivres pour deux jours et à midi on prend des autos à un kilomètre du village. Elles se mettent en route pour la Champagne, toute la division se suit. À 10 heures du soir, on arrive au camp de Châlons. On débarque des autos, des grands feux sont déjà allumés, on monte des toiles de tentes en plein champ. Le sol est couvert de gelée blanche, on allume un petit feu près des tentes. On se couche sur le sol humide.
Le matin du 3 octobre, on démonte les toiles et l’on va les remonter près d'un ruisseau appelé Suippe, à côté de Jonchery sur Suippe. Là, on s'amuse à attraper des perdrix à la course.



Le 5 octobre, au soir, on quitte le camp, on passe à Suippes et l’on va renforcer la première vague d'assaut qui doit attaquer au petit jour.
Le 6 octobre, à 3 heures du matin, on arrive au boyau Martinique où l'on se couche pour se reposer un peu, mais à 7 heures du matin, on repart pour se rapprocher des lignes. On arrive à un endroit où il y a un dépôt d’armes boches. On sort du boyau et on passe à découvert, tout près de Souain. On traverse l’ancienne ligne française, on visite les abris boches qui sont presque tous démolis par le bombardement. En ce moment, on commence à se mettre en tirailleur. Devant nous, il y a encore d'autres régiments qui montent en tirailleur pour renforcer la première ligne, les tirailleurs Algériens vont jusque à Sommepy-Tahure, mais ils sont obligés de reculer car les ailes de l'attaque n'avaient pas pu avancer. L'attaque n'a pas réussi, on rentre dans les boyaux des anciennes tranchées boches pour se mettre à l'abri des marmittes. Quand la nuit arrive, on se retire en arrière, on passe Souain et l’on va manger la soupe près du boyau Martinique. Puis après avoir manger la soupe, on va se coucher dans une tranchée, près du Bois Sabot.



Le 7 octobre, on va se promener dans le Bois Sabot qui appartenait aux boches pour visiter leur tranchée et abris où plus d'un sentent mauvais à cause des cadavres. Les tranchées sont comblées, du bois, il y a aucun pin qui fait des bourgeons, ils sont tous secs, il ne reste que les troncs. On se retire de la visite, on fait la soupe et le café. Le lendemain, on commence à faire un abri, le même jour il est fini car chacun avait mis toute sa bonne volonté. Les uns vont chercher des tôles, les autres des planches et poutres. Chacun travaille pour soi. La nuit arrive, on se met à l'abri ; on passe la nuit au chaud et la rosée ne nous tombe pas dessus. Le lendemain matin, on nous annonce que le soir on ira relever en première ligne. Pendant la journée, on va voir des obus de 270 à nous, non éclaté. Un avion boche attaque une saucisse à nous et la met en flammes. Nous allons occuper les tranchées de la butte de Souain. Pendant la relève, les obus éclatent, pas loin de nous. Après avoir passé un bois, la 9iéme compagnie qui est derrière nous s'y engage, arrive deux obus. Un éclatement formidable se fait entendre mais des cris de douleurs s'y mêle. On se cavale. On marche toujours dans le bois, on ne sait pas si l'ennemi est loin de nous. Tout d'un coup, on dit " couchez-vous ". Il y a une petite tranchée près de nous, mais personne y est dedans. Au bout d'un moment, il faut rester ici car c'est la première ligne. Ma section est en réserve à 10 mètres de la première ligne. On n'a pas d'abri, mais tout de suite, on se met au travail pour en fabriquer un, pour toute l'escouade avec des planches, des toiles de tentes, du feuillage et un peu de terre dessus. Un avion boche descend un avion français en flammes dans ses lignes.
Le 13 octobre, on monte en première ligne ou il y a de nombreux cadavres.
Le 14 octobre, les boches nous lancent des torpill
es, mais le soir on est relevé de cette tranchée par le 40iéme. On va plus à gauche et à 10 heures du soir, on quitte la tranchée. On traverse le bois, la relève est lente. Tout à coup, un obus de 105 arrive, tombe devant mon escouade, tue mon sergent et le cuisinier Roques, mon caporal Monis, Masse, Sauve et Barral sont blessés. Après avoir traversé le bois, on traverse un champ où l'on prend un boyau. Arrive un obus de 77, me monte à 50 centimètres de moi, la terre me tombe sur mon sac, mais cela ne m'arrête pas, je marche toujours. Enfin on arrive à la tranchée qui se trouve à droite de la ferme Navarrin, la tranchée où nous sommes n'est pas trop mauvaise. Elle est assez profonde, chacun à un petit trou pour se coucher.



Le 15 octobre au matin, je regarde par-dessus du parapet de la tranchée, j'apperçois de nombreux cadavres. Je me retourne, c'est la même chose de l'autre côté. Ce sont des chasseurs du 29iéme qui ont été tués en montant à l'assaut d'une tranchée ennemie. Puis j'aperçois deux casemates d'artillerie boches, prises par nous où il y a des canons dedans et des caisses de munitions. Les artilleurs français viennent chaque soir les démonter pour pouvoir les transporter en arrière. Nos canons anti-aériens descendent un avion boche qui tombe en vrille dans ses lignes. Chaque nuit, on va faire des fosses pour enterrer ces pauvres chasseurs qui sont tout noirs et ne sentent pas bons. Chaque soir, je suis de soupe parce que l'on reste plus que trois sur les huit de mon escouade.
Le 18 octobre, dans l'après-midi, les boches nous bombardent avec des obus de gros calibres renfermant des gaz lacrymogènes qui nous font pleurer les yeux. Chacun met le tampon masque pour se préserver, mais on n'a pas du mal à la compagnie.
Le 21 octobre, à 1 heure du soir, on est relevé par le 61iéme. On descend par un boyau qui avait été creusé par les boches, puis on passe à découvert où l'on voit de nombreux obus de 210, non éclatés. Au bout de 3 heures de marche, on arrive au bois des Marmittes où l'on monte les toiles de tentes par escouade. On se trouve mieux qu'en première ligne. On entend toujours le bruit des canons de 75 qui tirent sans s'arrêter comme des mitrailleuses. Mais, il n'y a pas d'eau pour se laver et on en a grand besoin. Mais on organise des corvées qui vont se laver à Suippes à 4 kilomètres du camp de Rivolli.
Le 30 octobre, les boches prennent l'offensive en faisant un bombardement avec des obus suffocants. C'est le 16iéme corps qui doit repousser l'attaque. On a peur qu'un ordre arrive pour aller renforcé de ce côté-là. Le soir arrive, aucun ordre ne nous est parvenu.
Le 31 octobre, au matin, on quitte le camp de Rivolli pour aller monter les tentes dans l'autre camp à 10 kilomètres de celui-là. Il fait mauvais temps, il pleut nuit et jour.

Novembre 1915

Le 3 novembre, à 1 heure de l’après-midi, nous quittons le camp pour nous embarquer. Moi, je suis désigné pour l’équipe d’embarquement. Nous passons à la Cheppes, nous arrivons à Saint Hilaire au Temple ou nous embarquons avec le train. On part à la nuit.











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