Témoignage de l'institutrice de Saleilles
le 29 novembre 1940.


Monsieur l'Inspecteur d'Académie, par une note du 19 octobre, a demandé aux instituteurs de lui adresser les renseignements concernant les récentes inondation du département : conditions météorologiques, allure des montées et des baisses des rivières, couleurs des eaux, dégats, comparaison avec les crues précédentes, etc... pour le professeur de géographie Maurice Pardé de l'Université de Grenoble, spécialiste en hydrologie qui a été chargé par le gouvernement de l'expertise sur les dégâts du 16 au 20 octobre 1940.

Voici le rapport de l'institutrice de Saleilles dans son intégralité :



Mercredi 16 octobre, vers 1 heure du matin, de violentes averses se mirent à tomber sans discontinuer jusqu'à 6 heures. Puis, les averses s'espacèrent dans la matinée du jeudi 17 octobre. Le ciel était toujours aussi bas, d'un gris sale ; malgré cette légère accalmie, un vent léger et tiède faisait tournoyer les feuilles des arbres. A partir de midi, les averses se succédèrent sans interruption et elles redoublèrent de violence à partir de 13 heures et durèrent jusqu'au 19 octobre à 18 heures.

Dans l'après midi du 17 octobre, le Réart qui était déjà en crue, a grossi à vue d'oeil, roulant d'énormes masses d'eau limoneuses. A 14 heures, le Réart se répandait sur les vignes avoisinantes, arrachait des ceps, des arbres fruitiers et de gros arbres qu'il charriait à des vitesses folles. Vers 15 heures, la rivière s'étalait sur plus de 25 mètres en amont du pont du Réart. A 18 heures, la pluie continuait à tomber et le Réart continuait à monter. L'allure des eaux était très rapide puis il y eut une baisse sensible le 18, puis une recrudescence de la montée des eaux le 19 octobre à 11 heures du matin. La pluie avait cessé pendant un moment et les gens du village profitèrent de cette accalmie pour se rendre trèsnombreux sur les bords du Réart, chemin faisant nous avons constaté que les maisons du village situées près de la rivière avaient beaucoup souffert de l'inondation. Les rez de chaussée surtout avaient été envahis par l'eau. Quelques habitations avaient à déplorer la perte de lapins et volailles.

La hauteur d'eau sur des façades était de 83 centimètres. En suivant un sentier, après bien des difficultés, nous avons pu nous approcher du Réart. Le pont était intact mais les vagues venaient se briser lourdement sur les berges envahissant les vignes et y apportant des dépôts de toutes sortes. L'eau était jaunâtre : un bouillonnait par endroit ou bien elle avançait à une allure vertigineuse. Un mur de jardin bordant le Réart s'est écroulé devant nos yeux, avec grand fracas, l'eau a envahi les jardins en bordure et ne rencontrant plus d'obstacles, elle a débordé sur la route nationale rendant la route impraticable et la couvrant de boue.

La hauteur maxima était de 3,60 m environ à l'endroit le plus profond de la rivière ; la largueur du Réart était au moment de la recrudescence de 21 mètres. La hauteur et la largeur auraient été plus importantes si le Réart n'avait pas débordé en trois endroits différents sur les vignes. Après cette recrudescence, ce même jour, 19 octobre, la décrue très sensible se produisait à partir de 20 heures, la pluie cessait et le temps redevenait calme.

Par comparaison avec les villages de la montagne, les dégâts n'ont pas été très sérieux. La crue a été relativement faible si on la compare à celle du Tech ; il n'y a eu, heureusement, aucune victime à déplorer.

En résume plusieurs vignes ont été inondées, une partie considérable de leurs plants et de leurs récoltes ont été détruits et certaines terres ont été recouvertes d'une épaisse couche de limon qui atteint 0,60 m par endroits.

Comparaison avec les grandes crues précédentes :
en 1915 la profondeur était de 3,20 m
en 1930 la profondeur était de 3,40 m (90 cm dans le village)
en 1940 la profondeur était de 3,60 m (83 cm dans le village)
Le Réart étant devenu plus profond, il y a eu moins d'eau dans le village cette année.


A saleilles, le 29 octobre 1940
signature illisible



l'instituteur de Théza note les renseignements suivant
- vent marin, est et sud-est et température douce
- tonnerre assez violent par moments
- eaux du Réart jaunâtre, boueuses ; courant très violent
- pas de dégat à Théza car le Réart est à plus de 800 m du village. Il ne dédorda sur la commune qu'en un point, en atteingnant le bord supérieur des blocs qui protégent les propriétés riveraines. Le territoire de Théza est un de ceux qui ont été le plus épargnés par les crues